Kein licht, une expérience à tenter !

Publié le 17 Octobre 2017

Accéder à un opéra contemporain et, qui plus est une création récente, n’est pas inné pour la plupart d’entre nous. La rupture que cela représente avec tous les codes déstabilise et, souvent même, rebute franchement. D’où l’intérêt dans l’opéra, comme dans les arts plastiques d’ailleurs, d’engager une démarche pédagogique. C’est la bonne idée qu’a eu l’opéra comique en invitant une poignée d’internautes à venir découvrir le 17 octobre quelques éléments du décor du spectacle Kein Licht et rencontrer le compositeur Philippe Manoury. Rare privilège que celui de pouvoir échanger avec le créateur d’un opéra. 

Quelques mots d’abord sur l’oeuvre. C’est une création de l’opéra comique jouée pour la première fois le 25 aout 2017 en Allemagne dans le cadre de la Ruhrtriennale. Le spectacle est donné à l’opéra comique de Paris pour 4 dates du 18 au 22 octobre, puis il partira en tournée à Strasbourg, Berlin, Zagreb, Luxembourg….

Le sujet ? Fukushima. Philippe Manoury a travaillé sur trois oeuvres de l’écrivaine autrichienne et  prix Nobel (2004) Elfriede Jelinek :  kein licht écrit en 2011 juste après le tsunami, Epilog, un monologue d’une femme endeuillée publié en 2012 et, enfin, le dernier texte écrit cette année après l’élection de Donald Trump. Il est intéressant de noter que l’auteure estime réaliser un travail musical sur les mots, ce qui semble appeler naturellement la mise en musique de ses textes, autant sans doute que cela doit constituer un défi. Les deux premiers textes évoquent le nucléaire sous l’angle de l’énergie, le troisième l’envisage comme une arme. Dans cet opéra, tout est déconstruit. A commencer par la partition. Il n’y en a pas dans le sens courant du terme. Ce sont des modules, au nombre de 11, susceptibles d’être intervertis. Il n’y a pas d’intrigue non plus. Et même pas vraiment de personnages. Chanteurs et acteurs se partagent le texte et l’incarnent ensemble. Il y a de la musique électronique, des vidéos, et des chanteurs sonorisés (à qui l’on a mis des micros) non pas pour accentuer leur voix - la taille et l’excellente acoustique du théâtre rendent un tel effet inutile - mais pour pouvoir la modifier. Comme la scène avance sur la fosse d'orchestre et a même nécessité de supprimer une ou deux rangées de sièges, l'orchestre a été installé au fond de la scène où il participe du décor. 

Contrairement à ce que l'on pourrait craindre, les créateurs de cet opéra se sont abstenus de toute volonté de réaliser une oeuvre politique à message. Si l’auteure est engagée l’opéra, lui, pose des questions tout en se gardant d’y répondre. Ses concepteurs disent même qu’il est drôle. Le tout se déroule dans un décor de lumière fluorescente incarnant le nucléaire et avec un bassin de 4 000 litres d’eau ou des acteurs évolueront dans des bulles de plastique. Il y a même un chien remarquablement dressé qui figurera ce qu’il reste de la nature. Un chien que l’on a croisé en visitant l’opéra et qui ressemblait un peu à l’émouvant personnage de Umberto D de De Sica

On l’aura compris, il faut laisser à l’entrée de l’opéra comique tout ce que l’on sait de l’opéra et venir vivre une expérience.

Le spectacle a remporté le Prix FEDORA - Rolf Liebermann pour l'Opéra 2016. Il dure 2h15 avec, avant chaque représentation, une présentation différente à consulter sur le site. Plusieurs documents et vidéos permettent de préparer sa soirée et d’entrer en douceur dans ce nouveau monde. 


 


Bonus : la découverte de Kein Licht a été aussi l’occasion de quelques anecdotes connues ou moins connues sur l’opéra comique. Avez-vous remarqué que les marches des escaliers sont réalisées dans une alternance de deux marbres différents ? Saviez-vous que les lustres de l’entrée et les rampes d’escalier à l’aspect brun et discret sont en réalité des bronzes dorés réalisés par la maison Christofle qui ont été recouverts de peinture brune pendant la guerre pour éviter que les allemands n’aperçoivent leur beauté et ne s’en emparent ?

On découvre leur splendeur dans le foyer où ils ont été nettoyés.

Allez une dernière. De chaque côté de la scène, deux loges demeurent vides. Coté jardin elle est réservée à la technique. Côté cour, c’est la loge du Duc de Choiseul qui a fait don du terrain sur lequel est bâti l’opéra comique. Par une curiosité juridique totalement insolite et unique, la loge continue au travers des siècles d’être indisponible car réservée aux descendants du Duc. Elle n’est jamais louée, ce qui n’est pas très grave car, dit-on, on n’y entend que d’une seule oreille et qu’il faut se pencher pour voir la scène ce qui oblige à se montrer à tous les autres spectateurs. Quand vous irez dans le foyer boire une coupe de champagne regardez la fresque représentant une scène de Zampa de Ferdinand Herold (1831). Le peintre Albert Maignan y a glissé une tour Eiffel minuscule dans un coin à droite, en gris très léger, au-dessus de la porte près de la guirlande de feuilles. 

 

Rédigé par Théodora

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